César 2018 : Cécile Kretschmar, l’orfèvre des masques de “Au revoir là-haut” 

Elle s’est inspirée de dada autant que de Venise… Cécile Kretschmar a entièrement créé les masques du film d’Albert Dupontel, qui vient de recevoir le César des meilleurs costumes. Rencontre dans l’atelier où sont nés les mille visages d’Edouard, le personnage de “gueule cassée” incarné par Nahuel Pérez Biscayart. 

Par Caroline Besse

Publié le 03 février 2018 à 10h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h31

Plus de deux millions d’entrées en quatorze semaines d’exploitation, treize nominations aux César qui auront lieu le 2 mars… Au revoir là-haut, le film d’Albert Dupontel adapté du livre de Pierre Lemaitre (Prix Goncourt 2013) fut l’un des grands succès de l’année, avec 120 Battements par minutes (13 nominations lui aussi), Barbara, ou Le Sens de la fête.

Nommé dans les catégories majeures des César (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur...) il est aussi en lice pour les meilleurs décors et les meilleurs costumes. Mais il aurait fallu créer une catégorie supplémentaire pour saluer le travail d’orfèvre accompli par Cécile Kretschmar, chargée de la création des masques qui se dévoilent tout au long du film comme une collection haute-couture.

Au revoir là-haut raconte l’histoire d’Edouard (incarné par Nahuel Pérez Biscayart), soldat défiguré pendant la Première Guerre mondiale, qui masque sa grave blessure à l’aide de masques plus originaux et créatifs les uns que les autres. Tous reflètent les espoirs et les tourments de cet artiste qui, au cœur des Années folles, va imaginer avec un compagnon de tranchées (Albert Dupontel), une arnaque au monument aux morts.

Son métier ? Donner du caractère aux visages. Réels ou non.

Son métier ? Donner du caractère aux visages. Réels ou non. © Léa Crespi

Les masques ont ainsi été créés par les doigts de fée et l’imagination débordante de Cécile Kretschmar, dans son atelier de la rue des Pyrénées (Paris, 20e). Ce matin de décembre, elle nous ouvre la porte vitrée qui donne directement sur son atelier : à gauche, une bibliothèque pleine de livres d’arts et de DVD, à droite, des étagères remplies de cartons, des moulages de visages de comédiens posés ça et là, des outils accrochés au mur, et un grand plan de travail partagé avec son compagnon depuis trente-cinq ans, Jamil, architecte, qui travaille discrètement sur son ordinateur. Ce jour-là, Cécile Kretschmar, 53 ans, porte un tablier sur un pantalon, qui tombe sur de très hautes chaussures compensées. Elle porte les cheveux ras. « Vous seriez venus il y a quelques semaines, j’avais les cheveux longs et verts ! Je les ai portés verts pendant vingt-cinq ans. Et puis j’en ai eu marre. »

Originaire d’Alsace, elle a commencé à travailler au Théâtre national de Strasbourg, en créant des prothèses de nez, d’oreilles, des petites transformations pour des pièces. « Un jour on m’a demandé de faire un masque, qui devait donner l’apparence d’un maquillage. C’est comme ça que j’ai commencé. »  Dans la langue française, il n’existe pas de terme spécifique pour qualifier son métier, qui consiste, comme elle le décrit, à s’occuper « de la tête des chanteurs, ou des acteurs, principalement au théâtre ou à l’opéra. » Mais un jour, elle a travaillé en Espagne avec un metteur en scène, qui lui a dit qu’elle faisait de la « caracterización ». «C’est un terme qui me convient bien car pour donner un caractère, on peut en effet passer par la coiffure, le maquillage, des prothèses… ».

Le travail de Cécile Kretschmar sur les masques est connu dans le milieu – elle a officié à Paris au Théâtre de la Colline, puis à l’Odéon, auprès de Luc Bondy. Ainsi, quand Albert Dupontel a commencé à chercher quelqu’un pour Au revoir là-haut, le nom de Cécile lui a été soufflé par Mimi Lempicka, sa créatrice de costumes – nommée elle aussi aux César. « On a commencé à travailler en juin 2016. Albert souhaitait que les masques soient beaux. Edouard, le personnage de Nahuel Pérez Biscayart a fait les Beaux-Arts, il est doué de ses mains, il se débrouille très bien donc il fallait que ça se ressente dans les masques. »

“Je ne suis pas une vraie artiste, je n’ai jamais cherché à imposer une vision.”

Cécile Kretschmar a rassemblé de la documentation, principalement autour du carnaval de Venise, du dadaïsme, et commencé à créer de petites maquettes, de la taille d’une main. Elle les sort d’une boîte en carton : le masque bleu avec les petites branches, le masque de lion composé de billets de banque, le masque de la femme aux cheveux bleus, celui de la lune… « La difficulté, c’est que peu de masques étaient précisément décrits dans le livre de Pierre Lemaître et donc, dans le scénario. Il a donc fallu en imaginer plusieurs, notamment pour la scène où Edouard montre plein de masques à la petite fille. Albert était très exigeant, mais d’un autre côté, ne voulait pas non plus décider vraiment de leur allure. J’ai beaucoup choisi moi-même, tout en respectant ses souhaits. Et cela a très bien fonctionné entre nous, car comme je ne suis pas une vraie artiste, je n’ai jamais cherché à imposer une vision. J’étais vraiment souple, pour sentir ce qu’Albert voulait, ce qui lui plaisait ».

Le masque de la femme aux cheveux bleus, par lequel le déclic arriva. 

Le masque de la femme aux cheveux bleus, par lequel le déclic arriva.  © Léa Crespi

Après plusieurs essais, Albert Dupontel a un déclic au moins d’août, quand Cécile Kretschmar lui montre le masque de la femme aux cheveux bleus, dont elle est, aujourd’hui encore, très fière. Mais parfois, il la stoppe aussi dans ton élan : « Pour un masque sur lequel je m’étais emballée, il m’avait dit "mais arrête, là tu fais trop ta maligne !” se souvient-elle en riant. Elle a aussi dû faire parfois des ajustements, comme pour le masque de l’oiseau bleu de la scène finale, qu’elle a d’abord créé en noir. « J’ai longtemps eu en tête qu’il fallait que l’on voit quelque chose de la douleur d’Edouard, alors qu’Albert ne voulait pas cela du tout. Au contraire, il ne voulait rien de morbide. »

L’atelier de Cécile Kretschmar

L’atelier de Cécile Kretschmar © Léa Crespi

Tous les masques étaient prêts pour les répétitions et le tournage, qui a commencé en mars 2017. « Cent pour cent faits main et made in France », aurait-elle pu inscrire sur une étiquette… « Pour ne pas sous-traiter et pour ne pas qu’on soit trop nombreux dans l’atelier, j’ai fait bosser ma fille Célia. Jamil nous a aidés pour les courses, acheter le plâtre, produire des éléments avec l’imprimante 3D », explique Cécile. C’est en fait toute la famille de Cécile Kretschmar qui est présente dans les masques :  le visage d’Itto, sa deuxième fille, a été moulé pour le masque de la lune, son autre fille, Chucha, s’est occupée des perles et des décorations d’une autre pièce, quand son fils, Meimoun a notamment conçu des origamis pour une autre création.

Un petit regret pour Cécile : que certains masques aient été coupés au montage, même si elle s’y attendait. « Mais, sourit-elle, on pourra les retrouver dans le bonus du DVD ! » (en vente à partir du 28 février chez Gaumont Vidéo). Tous les essais de masques avaient en effet été filmés. Grande satisfaction en revanche : le reconnaissance d’Albert Dupontel, qui la cite beaucoup dans ses interviews. Et surtout, son choix d’avoir fait apparaître son nom en troisième position au générique du film…

Certains masques ont été coupés au montage. On pourra les voir dans le bonus du DVD.

Certains masques ont été coupés au montage. On pourra les voir dans le bonus du DVD. © Léa Crespi

 

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